- Actualités Vaudoises - Jean-Blaise Roggen
Comptes 2024: un exercice de style catastrophiste

Rédacteur
En écoutant le Conseil d’Etat nous présenter les comptes 2024 on pense irrésistiblement à Raymond Queneau et à ses «Exercices de style». Dans cet ouvrage, une même histoire est racontée nonante-neuf fois, de nonante-neuf manières différentes, du mode le plus jubilatoire au plus sombre. En l’occurrence, nos magistrats avaient choisi le registre catastrophiste. Bel exercice de style. Mais les faits, eux, sont moins aisément malléables.
Les mines sévères des intervenants en faisaient foi: l’heure était grave et la situation à la limite du dramatique. Les comptes de l’Etat de Vaud sont dans le rouge et le petit équilibre (soit la couverture des charges par les revenus avant amortissements) manqué pour 94 millions. Dans cet exercice lugubre opéré sur un ton funèbre, l’initiative «Baisse d’impôts pour tous» planait telle une ombre avec son coût «astronomique» de «550 millions», dixit le Conseil d’Etat en omettant savamment dans ses calculs les baisses d’impôt sur le revenu qu’il a lui-même déjà actées. Un frisson d’horreur prospectif était destiné à saisir l’assistance ! Alors qu’en est-il des justifications apportées à ce «dérapage» des comptes et quid des chiffres eux-mêmes?
Des explications réchauffées
Commençons par les coupables: en page 4 de sa présentation, le gouvernement évoque une «hausse des charges (de 6,2% par rapport aux comptes 2023) liée à des facteurs multiples: l’inflation, la démographie, les automatismes des politiques publiques, les crises successives, l’absence de distribution de bénéfices de la BNS».
Rappelons à nos ministres que l’inflation, en fort recul, s’est établie à 1,1% en 2024 et qu’elle gonfle également les recettes fiscales (corrigées de la progression à froid). Dans un parallélisme parfait, la population vaudoise a connu un accroissement modeste de 1,1%, augmentant également le nombre de contribuables et par là les recettes fiscales. L’«automatisme des politiques publiques» est une notion bien floue et brumeuse mais qui dénote une forme d’acceptation tacite de l’absence de maîtrise et de contrôle des dépenses. Voilà qui peut légitimement angoisser les vaudoises et les vaudois. Quant aux crises, le Covid remonte à 2020, l’invasion de l’Ukraine à 2022 (année bénéficiaire pour les comptes de l’Etat de Vaud) et l’économie vaudoise est en croissance (estimée à 1,2%, en 2024). Enfin, outre le fait de justifier une hausse des charges par la suppression d’une source de revenus (!) le Canton nous annonçait à la publication des comptes 2023 ne plus pouvoir tabler sur les distributions de la BNS dans le futur. Fallait-il vraiment nous le dire une nouvelle fois en 2024? Rappelons d’ailleurs au passage que ces distributions reprendront en 2025 (189 millions prévus pour le Canton de Vaud).
Au milieu de ces explications et de ces prétextes bien peu convaincants (à l’exception notoire de l’aveu en creux d’une absence de maîtrise des charges) une autre ombre se joignait à l’initiative «Baisse d’impôt pour tous», celle des choix comptables et de la grande «flexibilité» (euphémisme) des normes comptables MCH 2 «à la vaudoise» (voir encadré).
« L’initiative Baisse d’impôts pour tous planait telle une ombre avec son coût astronomique de 550 millions, dixit le Conseil d’Etat en omettant savamment dans ses calculs les baisses d’impôt sur le revenu qu’il a lui-même déjà actées.»
Des explications réchauffées
Rappelons en préambule qu’hélas, cette présentation médiatique des comptes dévoile des chiffres sélectifs, autour des charges, des recettes et des investissements principalement. Bilan et flux de trésorerie seront publiés bien plus tard, dans un relatif anonymat, alors qu’ils sont les éléments clés pour comprendre la santé financière du Canton. On brûle ainsi de savoir ce que sont devenus les 4,8 milliards de fonds propres et les 4,6 milliards de liquidités et placements à court terme accumulés au bilan 2023 avec l’aide gracieuse des contribuables vaudois. Sur le plan des comptes 2024, on est aussi très curieux de découvrir ce que recouvre exhaustivement la hausse des charges opérationnelles de 712 millions (6,2% de hausse en 2024, après celle de 520 millions en 2023 soit 1,32 milliards en deux ans) quand la hausse des principaux postes de charges non salariales en augmentation (soit l’action sociale, et la santé pour plus de 286 millions) sont intégralement couvertes par la hausse des revenus globaux de 382 millions. Enfin, de ce monceau de charges, quelle proportion touche réellement la trésorerie? Les 3 milliards (!) de passifs transitoires et anticipés au bilan 2023 peuvent légitimement alimenter le débat.
Sur le plan des revenus, on constate, une fois de plus, que les baisses d’impôt nourrissent les recettes fiscales. En effet, après une baisse de 3.5% de l’impôt sur le revenu en 2024, les recettes de cet impôt augmentent de 53 millions par rapport à 2023. Contrairement à ce qu’affirme le Conseil d’Etat, une baisse d’impôt peut donc contribuer à l’augmentation des prestations publiques malgré une conjoncture relativement morose (1,2% de croissance en 2024). «Last but not least» une petite devinette: connaissez-vous un Canton qui réduit sa dette, déjà marginale et résiduelle, de 200 millions durant un exercice déficitaire tout en proclamant haut et fort ses besoins graves et urgents de financement?
De la «mansuétude» laissée par les normes MCH2
Contrairement à d’autres (ZH, GE, BS), le Canton de Vaud n’applique pas les rigoureuses normes comptables internationales IPSAS mais les normes MCH2. Ajustées spécifiquement à la mode de chaque canton, ces dernières laissent plus de latitude en termes de cosmétique (voire d’artifices) comptable. Outre les fameux «préfinancements» qui défraient régulièrement la chronique, MCH2 est très «flexible» sur le plan des limites d’activation. Concrètement certains investissements peuvent être passés en charge au compte de résultat alors qu’ils devraient être activés au bilan. Tout cela péjore artificiellement le résultat de la collectivité publique. Le MCH2 est aussi très «large» pour les opérations de régularisation et de délimitation des exercices (passifs transitoires notamment).