- Actualités Vaudoises - Pierre-Gabriel Bieri
Communes vaudoises: une réalité variée qui défie l’uniformité théorique

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Le Conseil d’Etat vaudois veut réviser la loi sur les communes, dans le but de rendre ces dernières plus fortes et plus autonomes. Mais en marge de ce but louable transparaît la volonté d’imposer une vision technocratique et uniforme de la «commune idéale», atteignant la taille critique de 3000 habitants et dotée d’une solide administration professionnelle. Cela revient à considérer les communes comme de simples subdivisions administratives, ce qu’elles ne sont pas.
Le Canton de Vaud compte actuellement 300 communes. Elles étaient encore 375 il y a une quinzaine d’années, mais de multiples processus de fusion, encouragés par le Canton, ont conduit à cette forte réduction de leur nombre. Les communes jouent un rôle politique particulier; elles ne sont pas de simples subdivisions administratives, mais possèdent une existence historique et une identité propres qui en font de véritables communautés politiques, au niveau le plus immédiatement perceptible par les citoyens. Elles ne constituent cependant pas des entités souveraines; leur légitimité d’action, leurs compétences et leur organisation sont définies et cadrées par l’Etat de Vaud, à travers la loi sur les communes.
Le Conseil d’Etat vaudois considère que la loi actuelle – qui date d’il y a 70 ans mais a été régulièrement adaptée – a maintenant besoin d’une révision complète. Un avant-projet a été mis en consultation officiellement jusqu’à la fin du mois de mars (www.vd.ch/consultations). Pour étayer la nécessité d’une révision, le Conseil d’Etat invoque l’évolution de la société, ainsi que la complexité croissante des tâches communales qui a conduit à créer un foisonnement de structures intercommunales non moins complexes et dont le contrôle échappe parfois aux autorités communales. Autre constat: l’apparition plus fréquente de tensions entre l’organe délibérant (conseil communal) et l’exécutif (municipalité), ou au sein de certaines municipalités; des querelles personnelles ou de compétences aboutissent parfois à des blocages politiques… qui rejaillissent généralement sur le Canton, appelé à intervenir. L’objectif du Conseil d’Etat est de limiter ces interventions, en donnant aux communes les moyens de fonctionner et d’exercer pleinement leur autonomie.
Une vision mi-paternaliste mi-technocratique
Le but est louable, mais les solutions proposées suscitent des réactions nuancées. Si certaines nouveautés apparaissent pertinentes et adéquates, d’autres laissent transparaître une attitude très dirigiste de l’Etat pour imposer sa vision, mi-paternaliste mi-technocratique, de ce que devrait être une «bonne commune». Selon cette vision, chaque commune devrait compter plus de 3000 habitants et disposer d’une administration professionnelle; ses autorités ne devraient pas «se limiter» à la gestion des affaires courantes, mais développer aussi une véritable vision prospective.
Le texte mis en consultation prévoit ainsi que chaque municipalité serait forcée d’élaborer un programme de législature, dont le contenu minimal serait fixé par le Canton. Il s’agirait, nous dit-on, de renforcer la collégialité en fédérant l’exécutif derrière un projet commun. Les programmes de législature qui existent déjà à d’autres niveaux institutionnels déploient-ils vraiment des effets aussi rassembleurs? On comprend bien l’utilité d’une planification stratégique dans les communes d’une certaine taille; mais à quoi bon l’imposer, y compris dans les plus petites communes? Le rapport du Conseil d’Etat répond à cette question en expliquant que «pour les communes de moins de 3’000 habitants, un des enjeux primordiaux consiste notamment (…) à examiner dans quelle mesure une fusion pourrait être envisagée». On comprend ainsi que le Canton définira le «contenu minimal» des programmes de législature de manière à y imposer ses propres priorités politiques.
«Le Canton soupçonne un manque d’efficacité dans les administrations des communes de moins de 1000 habitants.»
Compliquer la vie des petites communes
D’une manière générale, les auteurs de cet avant-projet s’ingénient à compliquer la vie des petites communes. Ainsi, des taux d’activité minimaux (à définir ultérieurement) seraient imposés au secrétaire municipal, au boursier communal et au responsable du «service de l’urbanisme» (autre nouveauté imposée à chaque commune), car le Canton soupçonne un manque d’efficacité dans les administrations des communes de moins de 1000 habitants (soit environ la moitié des communes vaudoises). Autre embûche pour les petites communes: les incompatibilités familiales, au sens large, qui empêchent deux personnes de siéger dans un même exécutif ne souffriront désormais aucune dérogation, ce qui risque de décimer certaines municipalités.
Cette volonté d’imposer un modèle de commune idéal, uniforme et théorique, en harcelant toute réalité n’entrant pas dans ce moule, pourrait laisser croire que l’Etat considère les communes comme de simples subdivisions administratives. Il appartient maintenant aux communes de réagir et de faire valoir leurs points de vue.

L’article 163 al. 2 de la Constitution vaudoise dispose qu’« avant de présenter tout projet de loi ou de décret entraînant des charges nouvelles, le Conseil d’Etat s’assure de leur financement et propose, le cas échéant, les mesures fiscales ou compensatoire nécessaires ». Dans le cadre du récent exposé des motifs et projet de loi (EMPL) présenté par le Conseil d’Etat et visant à offrir des rabais sur les transports publics, ce dernier n’aborde pas la question.
Le député Grégory Devaud interroge le Conseil d’Etat sur ce fait, considérant qu’il « ne fait guère de doute que les charges financières […] sont nouvelles » et tombent dès lors sous le coup de l’article 163 al 2. Ce n’est pas la première fois que le Conseil d’Etat esquive cette disposition constitutionnelle, par exemple en stipulant à une autre occasion que la nouvelle dépense « résulte de choix et de décisions stratégiques du Conseil d’Etat » et… c’est tout. Circulez (en bus bien sûr), il n’y a rien à voir. Il est heureux que nos députés veillent au grain.

secrétaire général adjoint – FPV