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Le travail au noir sort de l’ombre

Tatiana Rezso
Rédactrice

Le travail au noir, longtemps relégué au second plan du débat public, revient sur le devant de la scène politique vaudoise. En l’espace de quelques semaines, trois textes parlementaires ont été déposés au Grand Conseil pour proposer des pistes d’action.

Tout est parti d’un constat, partagé par de nombreux employeurs respectueux des règles : la frustration de devoir affronter une concurrence déloyale. Le travail non déclaré pénalise tout le monde, sauf ceux qui trichent. Il prive les assurances sociales et les caisses publiques de recettes vitales. Il fausse la concurrence entre entreprises. Et il laisse les travailleurs dans une précarité totale : sans AVS, sans chômage, sans recours en cas d’accident ou de litige.

Tandis que certains fixent leurs prix avec rigueur, versent leurs charges sociales, respectent les CCT et investissent dans la formation ou la sécurité, d’autres rognent sur ces exigences, profitant de l’opacité et des failles du système pour proposer des tarifs imbattables – mais à quel prix ? Des témoignages, relayés par les employeurs, les caisses AVS ou encore les organes paritaires, ont poussé certains élus à se mobiliser. Et le phénomène est loin d’être marginal : il représenterait 7,1 % du PIB suisse en 2024, selon le professeur Friedrich Schneider, spécialiste de l’économie souterraine.

Des actions concrètes

Dans le canton de Vaud, les efforts pour lutter contre le phénomène ne datent pas d’hier. Dès 1998, la création d’une convention quadripartite (CCCVD) entre l’État, les partenaires sociaux et la SUVA a permis la mise en place de contrôles réguliers sur les chantiers. En 2023, plus de 2’300 inspections ont été menées – contre 1’000 en 2010. Ces chiffres témoignent d’un renforcement des contrôles, mais aussi, peut-être, d’une recrudescence du phénomène. Malgré cela, un sentiment d’impunité persiste.

Dans ce contexte, la politique s’empare enfin du dossier. En l’espace de quelques semaines, trois textes parlementaires ont été déposés au Grand Conseil vaudois pour renforcer la lutte contre le travail au noir, en combinant prévention et coercition.

Tout d’abord, le député Grégory Bovay propose de modifier la loi sur les marchés publics pour que l’exigence d’un système de contrôle du personnel ne soit plus une option mais une obligation pour les adjudicateurs (25_MOT_18). Il s’agirait d’équiper chaque travailleur d’une carte professionnelle, afin de garantir le respect des conditions de travail et le paiement des charges sociales.

De son côté, le député Pierre-André Romanens a déposé deux textes complémentaires. Le premier (25_POS_33) vise à lancer une campagne de sensibilisation, en collaboration avec les partenaires sociaux, les communes et l’État, à l’image de celle menée dans le canton de Fribourg en 2024. L’idée est claire : informer le public sur les risques juridiques sociaux et économiques du travail au noir, prévenir plutôt que punir, et restaurer un climat de confiance.

Le second (25_INT_72) interpelle le Conseil d’État sur la prochaine révision de la loi sur l’emploi, qui constitue le socle cantonal pour encadrer la lutte contre le travail au noir. Cette révision permettrait notamment de renforcer le dispositif de contrôle et de déléguer certaines compétences aux organes paritaires, dans un cadre défini et en complément de la convention quadripartite du contrôle des chantiers (CCCVD).

«Le travail non déclaré pénalise tout le monde, sauf ceux qui trichent.»

Une stratégie globale

Au niveau fédéral, les parlementaires sont également actifs, puisqu’une motion du Conseiller national Martin Candinas vise à modifier la loi sur le travail au noir. Les offices du registre du commerce, des poursuites et des faillites auraient ainsi l’obligation de collaborer avec les organes de contrôle.

L’ensemble de ces propositions dessine les contours d’une stratégie plus globale. Elles visent non seulement à mieux détecter et sanctionner les abus, mais aussi à combler les failles légales et à éviter que les entreprises honnêtes soient pénalisées face à celles qui contournent les règles.

Les dérives du travail au noir doivent être sanctionnées avec rigueur. Mais il est essentiel de rappeler que la grande majorité des employeurs jouent le jeu. Protéger ces entreprises vertueuses, c’est aussi protéger le tissu économique vaudois tout entier.

Baptiste Müller
Rédacteur responsable, , secrétaire général adjoint – FPV



Tatiana Rezso,
Responsable politique Monde du travail

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