- Actualités Vaudoises - Jean-Blaise Roggen
Notre Canton a besoin d’un sérieux choc de compétitivité

Rédacteur
Le monde change radicalement et à une vitesse soutenue: le temps du multilatéralisme et de la recherche d’un consensus large semble révolu. La concurrence internationale (et même intercantonale…), déjà féroce, s’est peut-être récemment brutalisée encore un peu plus. Elle fait rage sur les terrains politique et économique à la fois; malheur à celui qui regarde passer les trains sans pouvoir y monter.
Les sociétés internationales ne coulent plus de jours heureux au bord du lac Léman.
Elles ont parfois mauvaise presse: on leur reproche la volatilité géographique de leurs quartiers généraux. On les réprimande régulièrement sur leur absence présumée de scrupules et sur l’ampleur de leurs plans sociaux avant de stigmatiser l’apparente voracité de leurs dirigeants gorgés de «stock- options». Pourtant, là où elles s’installent, l’économie est florissante et fait des envieux. Elles créent des emplois, directs et indirects, investissent ou relocalisent des fonctions extrêmement rémunératrices tout en créant un faisceau important de fournisseurs locaux et des réseaux entrepreneuriaux régionaux qui gravitent autour d’elles. Bref, elles n’ont pas leur pareil pour créer un écosystème. Mais voilà, elles se font plus rares autour du majestueux Léman. La fin des statuts fiscaux, la force du franc et les politiques de promotion économique agressives et dispendieuses de nos principaux concurrents sont passées par là. Derrière quelques gros arbres qui cachent encore la déforestation, beaucoup s’en sont déjà allées sous d’autres cieux. Des cieux parfois pas si lointains d’ailleurs, si on en juge par le déplacement projeté du siège de la SGS vers Zoug.
Quelques pistes pour comprendre un début d’exode
Longtemps la fiscalité des personnes morales a tenu le haut de l’affiche en termes de compétitivité. Les statuts de sociétés auxiliaires, mixtes ou les structures de «principales» volaient la vedette à d’autres paramètres concurrentiels. Dans la mesure, notamment, où l’impôt minimum du projet GloBE de l’OCDE (que le peuple a accepté en votation en 2023) nivelle les charges fiscales sur les personnes morales, ces autres paramètres (fiscalité des cadres, des plans d’intéressement du personnel, aides d’état etc.) ont pris davantage d’importance. Les juridictions qui cochent le maximum de cases dans cette course aux armements compétitifs déclenchent alors un cercle vertueux et attirent les investissements.
Qui sont-ils et que font-ils de plus ou de mieux que nous? Leur profil est varié, leur imagination, comme leur adaptabilité, redoutables. Pour ne citer que nos concurrents traditionnels: les Pays-Bas offrent, entre autres, aux employés qualifiés qui y prennent domicile des exonérations fiscales partielles de 30% sur les 20 premiers mois (en réduction graduelle par la suite), Singapour propose ses généreux «crédits d’impôt recherche» entièrement remboursables par l’Etat, ses doubles déductions fiscales pour certains frais de fusions & acquisitions ou d’internationalisation ou encore ses aides d’Etat massives en cas d’investissements locaux. Quant à Dubaï, les mot «impôts directs» sont à peu près bannis de son vocabulaire.
« Un choc de compétitivité est urgemment nécessaire pour sauver notre substrat fiscal.»
Comment faire face à ces nouveaux défis?
L’enjeu ici n’est pas tant de multiplier les cadeaux fiscaux ou les subventions à ces prétendus «croquemitaines» au détriment du train de vie de l’Etat. Il s’agit bien plutôt de consolider les finances publiques en érigeant des digues qui empêchent des recettes fiscales substantielles de s’en aller vers d’autres cieux. Tout le monde y perdrait, à commencer par nos concitoyens les plus modestes. Une baisse de la pression fiscale sur les personnes physiques telle que prévue par l’initiative «Baisse d’impôt pour tous» rendra notre Canton plus compétitif face aux velléités d’exode fiscal.
De plus, un certain pragmatisme dans la pratique administrative et un accompagnement judicieux de ces entreprises dans cette phase de transition vers un monde plus instable s’imposent. A ce titre, les récentes réglementations OCDE qui rendent probablement caduques avant terme les dispositions vaudoises sur le «step-up» des réserves latentes des sociétés internationales au sortir des «rulings» fiscaux représentent hélas un très mauvais signal. Même si l’avenir du projet GloBE de l’OCDE est peu limpide, la phase de transition qui devait aider à amortir les effets de la fin des statuts fiscaux va probablement s’écourter. D’où l’urgence pour notre Canton d’examiner si et comment il serait opportun de suivre le même chemin que ses homologues alémaniques qui ont clairement une longueur d’avance. Ainsi Zoug et Bâle-Ville octroient des aides d’un montant total respectivement de CHF 200 millions et 300 millions.
Elles prennent la forme de soutiens directs à l’investissement, à la transition énergétique ou à des mesures sociales de conciliation entre travail et vie de famille. Financées en grande partie par les revenus de l’impôt minimum des entreprises, elles sont indispensables pour consolider la digue des recettes fiscales qui a commencé à se fissurer. Un choc de compétitivité est urgemment nécessaire pour sauver notre substrat fiscal. Toutes les pistes à cet égard méritent d’être explorées.
L’impôt minimal du projet GloBE de l’OCDE sous les foudres de l’administrations américaine
L’une des premières mesures de Donald Trump à son accès à la présidence a été de retirer les Etats-Unis du programme GloBE qu’ils avaient pourtant contribué à façonner sous l’administration Biden. Les autres pays signataires, à l’image de l’Europe, du Japon, de l’Australie ou de la Corée du sud, ont indiqué leur intérêt au maintien de ce projet dont la mesure phare est l’impôt minimum de 15% sur les sociétés. La Suisse, signataire elle aussi, est suspendue aux évolutions difficilement prévisibles de ce dossier.