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- Relations extérieures - Jimmy Dupuis

Lex Syngenta : un potentiel frein pour l’économie

A tout seigneur tout honneur, la Suisse ne fait pas qu’exporter des produits industriels et des services, elle investit de manière substantielle au-delà de ses frontières. Inévitablement, elle attire en retour des capitaux étrangers, ce qui a notamment pour effet de favoriser son intégration dans les chaînes de valeurs mondiales. Il est généralement admis que les investissements étrangers exercent un rôle favorable sur la croissance. Or, en tant qu’économie ouverte, la Suisse a un réel intérêt à conserver un accès libre et non discriminatoire aux marchés internationaux des investissements tant les mouvements globaux de capitaux sont nécessaires pour stimuler son développement économique.

D’aucuns déplorent qu’un nombre croissant d’entreprises helvétiques se retrouvent en mains étrangères, en particulier chinoises. Les investissements étrangers ont beau générer des avantages, il est vrai qu’ils peuvent présenter un certain nombre de risques. Tout d’abord, ils permettent quelquefois aux firmes étrangères de s’approprier des secrets industriels en rachetant une entreprise suisse. Ensuite, la vente d’une entreprise exploitant des infrastructures critiques est susceptible de mettre en danger la sécurité nationale. L’étatisation indirecte des entreprises privées via des investisseurs étatiques – contrôlés par exemple par des fonds souverains étrangers – est enfin de nature à fausser la concurrence, puisque ces investisseurs disposent possiblement d’un avantage décisif en matière de financement.

Avec pour toile de fond le rachat en 2016 du groupe bâlois Syngenta par le conglomérat ChemChina, le Parlement a approuvé au début de la crise du coronavirus la motion 18.3021 Rieder réclamant la création d’un organe de surveillance des rachats d’entreprises suisses par des capitaux étrangers. Cette dernière – teintée de protectionnisme et de méfiance vis-à-vis de la Chine – surfe sur la tendance européenne. Le Conseil fédéral a jusqu’au mois de mars 2022 pour la mettre en œuvre.

En l’état, la Suisse ne dispose pas de législation sur le contrôle des investissements. Néanmoins, cela ne signifie pas que notre pays connaît une absence totale de barrières aux rachats étrangers. On constate en effet qu’il existe des limitations dispersées au sein de plusieurs lois fédérales, si bien qu’on peut parler de mécanisme de contrôle indirect des investissements. Dans son rapport « Investissements transfrontaliers et contrôles des investissements » du 13 février 2019, le Conseil fédéral estime d’ailleurs que la législation en vigueur permet de contrer efficacement les éventuelles menaces.

Force est effectivement de convenir que l’économie suisse n’est pas en open bar. La plupart des entreprises et infrastructures critiques sont propriété de l’Etat. Or, la participation majoritaire de l’Etat dans une entreprise s’impose comme une forme stricte de contrôle des investissements puisque seul le législateur peut créer les bases légales pour vendre une telle entreprise à un acteur étranger. Conjointement, une législation comme la Lex Koller limite fortement l’acquisition d’immeubles par des personnes à l’étranger dans le but de prévenir l’emprise allogène sur le sol suisse. La stratégie nationale pour les infrastructures critiques 2018-2022 offre finalement des garanties quant à la disponibilité des principaux biens et prestations, parmi lesquels l’énergie, les transports et les soins médicaux. 

Compte tenu de ce qui précède, le Centre Patronal est d’avis que la législation actuelle protège efficacement notre pays. Parce qu’il mélange politique et affaires tout en heurtant la liberté économique, un interventionnisme étatique en matière d’investissements étrangers ne semble pas de mise. On doit lui préférer une optimisation des instruments du droit de la concurrence face aux grandes entreprises d’Etat, étant entendu qu’il faut éviter de peindre exagérément le diable sur la Muraille de Chine. 



Jimmy Dupuis,
Responsable politique économie extérieure

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