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- Relations extérieures - Jimmy Dupuis

Trust suisse : une anglicisation malvenue du droit

En tant qu’institution de droit anglo-saxon, le trust se définit comme un rapport juridique au sein duquel un individu ou une personne morale transfère des actifs au trust et confère le contrôle de ces biens à un (ou plusieurs) tiers ou à une ou plusieurs institutions — le(s) trustee(s) — pour le compte du ou des bénéficiaires. Le trust peut notamment être utilisé pour planifier une succession, pour détenir un bien ou un investissement particulier, pour transmettre une entreprise et pour isoler tout ou partie du patrimoine d’une personne avant le mariage. Outre ses nombreuses applications pratiques, on relèvera que le trust est également un véhicule d’optimisation fiscale.

Sans proposer directement de trust, la Suisse dispose d’une réglementation étendue des activités trustales. On citera la loi contre le blanchiment, la Circulaire n° 30 du 22 août 2007 de la Conférence suisse des impôts, la loi sur les établissements financiers ainsi que la Convention de la Haye sur les trusts. Depuis l’entrée en vigueur de cette dernière, la Suisse reconnaît les trusts constitués à l’étranger. La Convention de la Haye n’apporte en revanche aucune réponse aux nombreuses questions de droit civil posées par une institution qui ne s’insère pas au sein des catégories juridiques classiques du droit continental.

A l’heure actuelle, il n’est pas possible de créer un trust selon le droit suisse. Afin d’éviter que les ressortissants helvétiques ne se tournent systématiquement vers l’étranger pour constituer des trusts, le Conseil fédéral a récemment ouvert une procédure de consultation portant sur un projet de trust suisse. Ce projet propose non pas de reprendre tel quel le trust de droit étranger mais bel et bien d’insérer une nouvelle institution au sein du code des obligations, ceci dans le but de renforcer l’attractivité de la place économique en complétant la palette des services financiers disponibles.

Il ressort du projet soumis à consultation que le trust suisse est conçu comme un instrument de planification successorale et de gestion du patrimoine. Le constituant qui prend l’initiative de créer un trust détermine l’acte de constitution désignant le trustee, le protecteur (facultatif), le contenu et les objectifs du trust ainsi que les bénéficiaires. Si le trust est discrétionnaire – c’est-à-dire qu’il permet au trustee d’ajouter ou de retirer des bénéficiaires et de déterminer la part de chacun des bénéficiaires – et irrévocable (aucune disposition ne peut être changée), le constituant perd la propriété du patrimoine. On notera que le protecteur veille à la bonne exécution du trust par le trustee. Ce dernier administre pour sa part le trust en respectant le cadre de l’acte de constitution. Il devient propriétaire du patrimoine en cas de trust discrétionnaire et irrévocable.

Le trust à la mode helvétique implique un nouveau type de droit de propriété puisqu’il instaure un patrimoine d’affectation sans personnalité juridique. En d’autres termes, le trustee devient propriétaire des biens du trust sans que ces derniers n’entrent dans son patrimoine. Intégrer un tel concept au sein de l’ordre juridique suisse suppose donc une réforme des droits réels en sus d’un simple ajout au code des obligations. La notion de patrimoine séparé dans le trust remet effectivement en cause le principe d’unité du patrimoine ; sa compatibilité avec les principes cardinaux des droits réels – en particulier avec le numerus clausus – est par ailleurs douteuse.

Au vu de ce qui précède, il paraît délicat d’introduire un nouveau type de droit réel au sein du code des obligations sans que le code civil suisse ne soit modifié, si tant est qu’il puisse in fine l’être. Le trust représente en effet une construction à part et souvent méconnue dans les pays de tradition romano-germanique. Dans la plupart des cas, il ne semble tout bonnement pas adapté à une saine planification en Suisse faute de s’intégrer harmonieusement au sein de notre ordre juridique.



Jimmy Dupuis,
Responsable politique économie extérieure

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